La littérature camerounaise, histoire et renouveau.

La littérature d’un pays raconte son histoire. Les écrivains, témoins et relais, entendent les maux du monde pour mieux les retranscrire. La littérature camerounaise se nourrit de légendes historiques, de contes anciens, de contestation, de victoires et de féminisme.

Le sultan Njoya, l’invention d’une écriture

Pays de poésie et de culture orale, le Cameroun avait ses troubadours qui récitaient des vers, souvent accompagnés d’instruments traditionnels. Légendes historiques et contes berçaient alors les imaginaires.

Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour voir les premiers textes écrits, notamment par le grand sultan Ibrahim Njoya (1860-1933). Régnant sur les Bamoun, à l’ouest du Cameroun, il invente en 1895 un alphabet, l’a ka u ku (Shumum), pour retranscrire l’histoire et les traditions de son peuple. Créé par le sultan parce qu’il ne se reconnaissait ni dans l’alphabet arabe ni dans le latin. Cette écriture lui permettra de rédiger plusieurs ouvrages, dont Histoire des lois et coutumes des Bamoun et Sa’angan.

Essentiellement utilisée dans l’administration entre 1896 et 1930, elle était aussi enseignée dans des écoles du Royaume Bamoun. L’alphabet se composait initialement de 510 signes, avant de subir des transformations pour arriver à 70 lettres et 10 chiffres en 1930, date à laquelle le roi Njoya est destitué de ses pouvoirs par les colons français, qui interdiront les langues camerounaises.

Un siècle plus tard, cette écriture sortira de l’oubli lors d’un festival au Cameroun en 2002, puis fera l’objet d’une grande exposition au Musée du Quai Branly à Paris en 2015. Le sultan Njoya, par ailleurs artiste et mécène, reste à ce jour une figure majeure de la littérature et de l’art moderne camerounais. Son alphabet est devenu le symbole d’une renaissance africaine, d’un pays qui renoue avec ses racines pour aller plus sereinement vers l’avenir.

Une littérature polyglotte

Les écrits du sultan Njoya prouvent que la littérature camerounaise n’a pas émergé au moment des luttes pour l’indépendance, comme relaté par certains historiens.
Cette période a effectivement connu de nombreuses publications, mais ne doit pas faire oublier des textes antérieurs aux administrations coloniales française et anglaise (1919). Celui de Charles Atangana Tsama, Die Jaude, écrit en allemand et en ewondo en 1913, est considéré comme la première fiction camerounaise. Nnango Kon de Jean-Louis Njemba-Medou, rédigé en boulou, date de 1932. Dans cette polyphonie linguistique, Isaac Moumé Etia a également cherché à valoriser une langue locale, le douala, avec son Dictionnaire Douala-Français (1928) et un recueil dans les deux langues : Les Fables de Douala (1930). Ces écrits annoncent une littérature camerounaise riche de ses langues, avec toutes les problématiques de traduction que cela implique. Le pays compte en effet plus de 250 dialectes, et deux langues officielles, le français et l’anglais;

La figure de l’écrivain engagé

La période coloniale sera particulièrement féconde au niveau littéraire. Mus par le besoin de s’engager, nombreux sont les intellectuels qui prennent la plume et s’engouffrent dans le mouvement de la négritude. Ce concept se veut une « simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture », pour reprendre les mots de Léopold Sédar Senghor, l’un des initiateurs du mouvement. Une revendication salutaire, prélude à la critique de la colonisation dont les écrivains vont très vite s’emparer, autant sur le continent qu’au sein de la diaspora africaine.

Car du courant de la négritude à la critique coloniale, il n’y a qu’un pas. Quand le premier s’articule autour de la défense d’une civilisation centrée sur le continent africain, les écrits postcoloniaux s’attaquent à déconstruire un rapport de domination d’une nation sur une autre, d’un peuple sur un autre. Les deux mouvements se retrouvent dans un objectif commun : panser les blessures de l’histoire.

Pour cela, il s’agit de s’indigner. Au Cameroun, l’homme politique et diplomate François Sengat-Kuo (1931-1997) a ainsi principalement écrit sur la colonisation et ses injustices, s’inscrivant dans la mouvance de la négritude. Son recueil de poèmes Fleurs de latérite est l’expression de la colère, de la montée de la révolte, tout comme Heures rouges qui raconte les émeutes sanglantes de Douala en 1945.

Pendant ses 32 années d’exil, l’enseignant, libraire, éditeur et écrivain Alexandre Biyidi Awala (1932-2001) a également publié, sous les pseudonymes Mongo Beti ou Eza Boto, plusieurs ouvrages à charge. Le Pauvre Christ de Bomba fera scandale dès sa sortie en 1956, L’écrivain verra d’ailleurs l’un de ses ouvrages censuré : Main basse sur le Cameroun, autopsie d’une décolonisation (1972), mais il reste une figure incontournable de la littérature camerounaise depuis Ville cruelle en 1954. Mongo Beti a publié plus de 20 ouvrages, du roman à l’essai en passant par un Dictionnaire de la négritude (1989).

En trois romans sur ces mêmes thématiques, Ferdinand Léopold Oyono (1929-2010), a marqué les esprits. Entre 1956 et 1960, donc juste avant l’indépendance, l’écrivain et diplomate publie Une vie de boy, journal intime d’un jeune garçon au service d’un commandant français, puis Le vieux nègre et la médaille, l’histoire d’un vieillard qui se voit couronné d’une médaille pour avoir sacrifié ses fils et sa terre — « services rendus à la France ». Ce roman qui fait partie des 100 meilleurs livres africains, est traduit dans le monde entier. Enfin, Chemin d’Europe suit le parcours d’un jeune instruit dans un monde hostile, qui rêve d’études en France. Des romans engagés, la décolonisation toujours en toile de fond.

Les récits d’exaltation de la vie en Afrique participent tout autant à cette entreprise de restauration d’une identité malmenée par la colonisation, comme Kamerun ! Kamerun ! d’Elolongué Epanya Yondo, publié en 1960, année de l’indépendance. L’auteur, par ailleurs militant, y célèbre la terre des ancêtres sous un titre teinté d’ironie. « Kamerun » était en effet le nom donné au pays par les Allemands à l’époque coloniale. Une autre manière de s’engager.

Bâtisseurs d’imaginaires

La poésie devient vite le support privilégié de la contestation, capable d’exprimer en peu de mots les transports communs. L’APEC (Association des Poètes et Écrivains du Cameroun) a marqué durablement le paysage littéraire, fédérant dès 1960 autour de son fondateur, René Philombe, tous les écrivains, francophones ou anglophones, avec une grande majorité de poètes. Louis-Marie Pouka-Mbague, Jean Paul Nyunai, Patrice Kayo, Jeanne Ngo Mai, Bate Besson, Mbella Sone Dipoko, Fernando d’Almeida, font partie de ces poètes qui ont chanté les douleurs, la libération, le passé et l’avenir. Des imaginaires nouveaux se forment sous leur plume.

Autres bâtisseurs d’imaginaires : les romanciers. Outre les célèbres Mongo Béti et Ferdinand Oyono, considérés comme les premiers grands romanciers du pays, quelques noms se distinguent : Benjamin Matip (À la belle étoile : contes et nouvelles d’Afrique, 1962 ; Afrique, nous t’ignorons !, 1956), Joseph Owono (Tante Bella, 1959), Jean Ikellé-Matiba (Cette Afrique-là, Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1963), Francis Bebey (Le Fils d’Agatha Moundio, Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1968), Evemba Njoku’a’Vembe (Sur la terre en passant, Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1967), Remy Medou Mvomo (Africa Ba’a, 1969), Yodi Karone (Nègre de paille, Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1982), Charly Gabriel Mbock (Quand saigne le palmier, 1978)… Ces romans ont marqué leur époque, certains font même partie du programme scolaire au Cameroun.

Des ambassadrices puissantes

Si les femmes étaient plutôt rares au panthéon du livre camerounais jusqu’aux années 1990, elles en sont aujourd’hui les plus lumineuses ambassadrices. Engagées, forcément.

Dès son premier roman, C’est le soleil qui m’a brûlée (1987), Calixthe Beyala (née en 1961) a su capter l’attention d’un lectorat fidèle. Près de 20 romans plus tard, l’auteure, qui vit en France, vient d’être nommée ambassadrice de la culture camerounaise par le gouvernement.
Parmi ses succès, Maman a un amant : un roman féministe plein d’humour, qui obtient le Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1994. Calixthe Beyala reçoit ensuite le prix François-Mauriac et le prix Tropique pour Assèze l’Africaine (1994), un récit entre Douala et Paris, espoirs et désillusions. Suivront Les Honneurs perdus, où l’auteure exerce une plume toujours aussi engagée pour la cause des femmes, grand prix de l’Académie française en 1996, et La Petite fille du réverbère, grand prix de l’Unicef en 1998, qui relate le combat d’une jeune fille pour réussir.

Léonora Miano (née en 1973) collectionne les récompenses avec seize ouvrages plus remarqués les uns que les autres. Son dernier en date, Rouge impératrice, devait raconter une belle histoire d’amour, mais la toile de fond politique n’a pas tardé à émerger. Katiopa, c’est l’Afrique dans plus d’un siècle, un continent prospère et autarcique, où des Européens viennent trouver refuge. Une utopie comme un remède, et un roman déjà sélectionné dans la première liste du prix Goncourt 2019.

Parmi ses précédents ouvrages, beaucoup ont été récompensés. C’est le cas de L’intérieur de la nuit (2005) qui raconte un retour au pays après plusieurs années d’études en France, dans une Afrique imaginaire, et compte pas moins de six récompenses, dont le Prix du premier roman de femme et le Prix Louis-Guilloux. En 2013, Léonora Miano remporte le prix Femina avec La saison de l’ombre, qui évoque la traite négrière. En 2006, elle est distinguée par le Goncourt des lycéens pour Contours du jour qui vient, conte romancé d’une Afrique violente où l’espoir ne peut jaillir que comme un éclat.
Léonora Miano multiplie les récits avec une même obsession : déconstruire les préjugés. Camerounaise vivant en France, elle incarne avec puissance et restitue à merveille cette identité afroeuropéenne. En 2011, elle est l’une des rares à remporter le Grand prix littéraire d’Afrique noire pour l’ensemble de son œuvre.

Hemley Boum (née en 1973) a quant à elle, travaillé sur l’histoire, et comment se l’approprier. Ses trois romans ont été salués par la critique, notamment Les Maquisards qui a remporté le Grand prix littéraire d’Afrique noire en 2015 et le Prix du livre engagé en 2016. Ce roman historique, mêlant quelques personnages fictifs et beaucoup d’acteurs réels, raconte un moment méconnu : celui de la lutte pour l’indépendance en pays bassa, à travers une poignante saga familiale sur cinq générations.

Munyal, les larmes de la patience, est le dernier roman de Djaïli Amadou Amal, après Walaande, l’art de partager un mari et Mistiriijo la mangeuse d’âmes. Fidèle à ses thèmes de prédilection, à savoir la culture peule et les violences faites aux femmes, l’écrivaine explore dans ce récit le mariage précoce et forcé, la polygamie et plus largement le quotidien des femmes du Sahel. Il vient d’être distingué par le prix Orange du livre en Afrique, et Djaïli Amadou Amal a également reçu le Prix de la meilleure auteure africaine de l’année 2019 au Salon du livre de Paris. Un encouragement à poursuivre, par les mots et pour les femmes, l’engagement qui l’anime depuis toujours.

Dernière sensation littéraire en date : l’écrivaine Imbolo Mbue (née en 1982), qui vit aux États-Unis. Son Behold the Dreamers, publié en France sous le titre Voici venir les rêveurs a fait grand bruit en 2016. La maison d’édition Random House obtient le manuscrit pour un million de dollars ! Du jamais vu, surtout pour un premier roman. Un rêve américain en pleine crise économique de 2008, qui suit les destins croisés de deux familles : celle d’un riche banquier de Lehman Brothers et sa femme et celle de Camerounais rêvant de Green Card. Une plongée dans la grande désillusion, à tous les niveaux.

Une pluie de reconnaissances

La littérature camerounaise est en pleine effervescence. En témoignent les nombreux prix reçus par les auteurs contemporains aux niveaux national, continental et international, ainsi que l’invitation du pays à de nombreux salons du livre de par le monde.

D’ailleurs, sur les cinq derniers Grands prix littéraires d’Afrique noire, quatre ont été attribués à des œuvres de Camerounais, confirmant la vitalité du secteur. Parmi eux, Eugène Ebodé (né en 1962), ancien footballeur et conseiller municipal en France, chantre du réalisme magique. En une dizaine de romans et presque autant de contes, nouvelles et essais, il a essentiellement cherché à décrire la jeunesse africaine. Son thème de prédilection ? La transmission, titre de son deuxième roman paru en 2002. Mais c’est Souveraine Magnifique, une fiction sur le devoir de mémoire, qui lui fait remporter le Grand prix littéraire d’Afrique noire en 2014. Le narrateur y recueille la parole d’une femme au Rwanda, pour simplement donner à l’écouter, l’entendre et la comprendre. Quant à son roman musical sur l’exil et l’amour, Silikani, il raffle le Prix Ève-Delacroix de l’Académie française en 2007.

L’écrivain, critique littéraire, restaurateur et professeur de philosophie Gaston-Paul Effa (né en 1965) a également écrit sur la transmission dans Je la voulais lointaine (2012), une réflexion sur l’héritage des siens et l’exil, sur la difficile conciliation de la fidélité à la tradition et des aspirations à la modernité. Son premier roman, Tout ce bleu (1996), lançait déjà les thématiques fondatrices de son œuvre, l’enfance, la mère, l’exil, qui atteignent leur point culminant avec Mâ (1998), roman couronné du Prix Erckmann-Chatrian et du Grand prix littéraire d’Afrique noire 1998.

Max Lobe (né en 1986) fait partie des plus jeunes écrivains camerounais. Son talent a vite été remarqué au sein de l’Université de Lausanne, où il remporte le Prix de la Sorge en 2009. Encouragé, il publie L’enfant du miracle en 2011, l’histoire de Paul, un enfant mort-né qui reprend vie suite à une cérémonie magique. Petit garçon efféminé, il subit des moqueries à l’école et dans le village, jusqu’à l’obtention d’une bourse qui lui permet d’aller étudier en Suisse. Un roman sur ce sentiment d’être en décalage et sur les masculinités. Son deuxième ouvrage, 39 Rue de Berne (2013), se voit couronné du Prix du Roman des Romands. Suivront La trinité bantoue en 2014, Confidences en 2016 et Loin de Douala en 2018.

Un secteur en plein essor

Sous l’impulsion du Ministère des Arts et de la Culture et d’associations toujours plus nombreuses, le secteur du livre au Cameroun s’est enrichi, depuis les années 2010, de plusieurs prix littéraires pour reconnaître et encourager les talents. C’est le cas des différents prix proposés par le Grand Prix des Associations Littéraires (GPAL), qui s’intéresse aux écrits en français et en anglais.
Le Salon International du Livre de Yaoundé (SILYA) a également, pendant trois éditions en 2013, 2016 et 2018, mis à l’honneur la littérature camerounaise contemporaine et rendu hommage aux pionniers. Ce Salon qui se positionne comme l’un des plus importants en Afrique Noire Francophone, connaîtra sa 4e édition en mai 2020.
Les éditeurs et libraires se retrouvent aussi lors de festivals comme Lire à Douala, qui est porté par une association créée en 2015 dont l’objectif est de promouvoir la lecture, l’expression écrite et le développement de la culture littéraire, en particulier pour les jeunes.
De nombreuses associations s’activent à valoriser la lecture et les auteurs, citons l’Association des Poètes et écrivains du Cameroun (APEC), l’Union des Écrivains du Cameroun, Grenier littéraire, Biblionef, The Cameroon National Library Association, la Ronde des Poètes du Cameroun, l’Association des Auteurs et Illustrateurs de Livres pour Enfants (AILE-Cameroun) ou encore la Société des Poètes et Artistes du Cameroun, entre autres.
Il y a aussi à noter le Concours Littéraire National Jeunes Auteurs qu’organise depuis 4 ans le Ministère des Arts et de la Culture, à l’issue duquel, de jeunes auteurs sont publiés et mis en valeur lors des événements où les ouvrages collectifs publiés sont présentés.